Dissolution de l’Assemblée Nationale : et si on prenait du recul ?

Sitôt levé du lit, le Prof Patrick se lance dans un de ses exercices favoris : mettre en contexte la décision de dissoudre l'assemblée nationale, histoire de ne pas rester "collé" à l'évènement.

Accroche

Hier soir, pendant que le Président de la République semait le tumulte par sa décision inattendue de dissoudre l’assemblée nationale française, je regardais, ému et ébloui, le dernier épisode de la magnifique série « Shogun » (visible sur Disney +). J’avais mis une bonne semaine pour regarder ce dernier épisode, tant j’avais été secoué par le somptueux épisode 9 de cette série, qui célèbre et nous fait saisir de l’intérieur la culture Japonaise, tellement étrangère à nos cultures occidentales, tellement magnifique et impitoyable, où la notion de sacrifice atteint des dimensions mystiques.

C’est en apprenant les résultats des élections européennes que j’ai saisi l’ironie de mon choix de célébrer, via la série Shogun, le bonheur de s’enrichir d’une civilisation et une culture irrémédiablement différente de la notre au moment même où triomphait en France le parti dont les valeurs sont l’incapacité à accepter la réalité dans sa complexité (au point de passer son temps à se construire des réalités alternatives complotistes faites de concepts vides et d’ennemis cauchemardesques) et la peur panique face à toute personne ou groupe dont les différences lui semblent menacer en permanence son identité de chochotte (ce qui lui permet de rassembler ses troupes derrière le mécanisme millénaire du bouc émissaire).

Problématique

Puis, face à la décision de Macron qui a laissé tout le monde sur le flanc, les bons vieux réflexes tant du Coach T. que du Prof Patrick sont revenus : Et si on mettait cette décision de dissolution de l’Assemblée Nationale en contexte, histoire d’y voir plus clair ?

Allons-y…

Une évidence trop vite oubliée

Commençons par le plus important : de façon étrange, depuis la première victoire d’E. Macron en 2017, qui a totalement rebattu les cartes du paysage politique Français, il m’avait semblé que tout le monde oubliait soudain un principe fondamental de tout régime politique démocratique :

La démocratie est fondé sur l’alternance. Dans une démocratie digne de ce nom, aucun parti ne peut espérer se maintenir « éternellement » au pouvoir. Malgré quelques exceptions notables (Angela Merkel en Allemagne), survient toujours le moment où un autre parti prendra le relais.

1/ Le système Droite-Gauche en France après la 2e Guerre Mondiale

Dans le système politique Français d’avant le séisme de 2017, nous étions dans une bonne vieille alternance droite-gauche. Droite de gouvernement d’un côté, gauche de gouvernement de l’autre.

La droite de gouvernement était constitué par une alliance entre les gaullistes (héritiers de la vision de Charles De Gaulle d’une France puissance indépendante dans le contexte de la Guerre Froide) et la droite plus « bourgeoisie libérale », plus ouverte au libéralisme économique et à l’atlantisme, plus moderne également sur le plan sociétal (Giscard d’Estaing, Président de la République avant Mitterand  dans les années 70)

La gauche de gouvernement était constituée depuis les années 70 par un parti dominant : le Parti Socialiste, réinventé par François Mitterrand. Par une stratégie très efficace d’étouffement affectueux (le programme commun des années 70), le P.S. a peu à peu réussi à marginaliser l’autre grand parti de gauche, le parti communiste, que personne ne voyait comme un parti ayant vocation à gouverner, puisque son arrivée au pouvoir évoquait pour tout le monde l’arrivée des chars Soviétiques sur les Champs Elyzées…

2/ La rupture de la mondialisation

A/ La mutation de la gauche de gouvernement

Les années 80, 90 et 2000 ont été marquées par :

– La quasi disparition de la gauche d’obédience marxiste : celle-ci n’a guère survécu à la disparition de l’URSS, qui rendait dans les esprits l’espoir d’une révolution totalement illusoire.

– La victoire intellectuelle de la pensée néo-libérale, qui a été le socle de ce qu’on a appelé la « mondialisation » : généralisation de la concurrence à l’échelle mondiale, domination des marchés financiers et des Firmes Multinationales, perte d’influence des salariés au profit des directions d’entreprises et des actionnaires, mise en place de politiques visant à réduire l’ampleur des Etats-Providence Européens, flexibilisation généralisée des marchés du travail… La construction de l’Union Européenne à partir de la moitié des années 80 a été fondée sur l’application stricte de ces principes (Auxquels s’ajoutent quelques spécificités venues de l’ordo-libéralisme Allemand)

Paradoxe : du coté de la gauche, c’est la gauche de gouvernement qui fut en Europe la mouvance politique la plus zélée pour mettre en œuvre cette mutation néo-libérale, pourtant contraire à tous points de vue aux valeurs traditionnelles des partis de gauche.

Ces deux évènements ont eu pour conséquence un progressif éloignement entre les partis de gouvernement (Parti Socialiste en France) et sa base électorale traditionnelle (les classes populaires).

Mon alter-ego le Prof Patrick a parlé de tout ça dans une chronique en 2022 (mais où est passée la gauche ?) que je vous laisse écouter :

La rupture définitive entre la « France de Gauche » et le Parti Socialiste s’est faite sous le mandat de François Hollande vers 2013-2014 : effondrement du sentiment de cette partie des Français de se sentir « de gauche ».

La figure d’Emmanuel Macron, qui émerge de ce cocon, correspond à ce que le Prof Patrick a appelé la « gauche de droite », qui devient avec la prise de pouvoir de Macron en 2017… la droite !!

Mais pas n’importe quelle droite.

Et c’est le deuxième fil que nous devons suivre pour comprendre la situation actuelle.

B/ La mutation de la droite de gouvernement

J’ai expliqué plus haut la composition de la droite Français de l’après 2e guerre mondiale. Avec la mondialisation et ses effets dans les décennies 80-2010, on a vu peu à peu émerger deux grandes composantes à droite :

  • Une droite libérale, défendant les intérêts des classes sociales économiquement les plus favorisé, en gros les 20 % des plus hauts revenu (mais soutenue au-delà par les classes moyennes), celles qui sont les grands bénéficiaires de la mondialisation et des mutations de l’Union Européenne
  • Une droite plus conservatrice, très hétérogène en termes de classes sociales, plus attachée à un état nation souverain (donc plus critique de l’Union Européenne et de la mondialisation), et très opposée aux mutations sociétales fortes de ces 20 dernières années.

Le coup de génie d’E. Macron a été de constituer sans jamais le dire le parti de la droite libérale-mondialiste. Et ainsi de siphonner la droite de gouvernement, qui ne s’en est jamais remise. Bruno Le Maire, Edouard Philippe, plus récemment Rachida Dati, autant de membres importants des gouvernements Macron qui proviennent de la défunte droite de gouvernement.

Que reste-t-il donc de la droite de gouvernement (le parti Les Républicains) ? Les derniers rejetons de la droite conservatrice, du moins ceux qui restent : les plus réactionnaires. Dont le discours n’est la plupart du temps qu’un décalque du discours du Rassemblement National. Autant dire un parti voué au néant.

Il nous faut maintenant évoquer « l’éléphant dans le couloir »….

3/ L’extrême-droite !!

Pendant les décennies de la mondialisation, l’extrême-droite a soudain réapparu dans le paysage politique Français avec le Front National de Jean-Marie Le Pen en 1984 (11 % aux élections Européennes, un séisme dans une France où l’extrême-droite était synonyme de parti collabo, et dont les scores à toutes les élections tournaient autour de 1 %

Sa montée en puissance progressive a été inversement symétrique à la disparition progressive de la gauche marxiste révolutionnaire. Il a fallu la mise en retrait de JM Le Pen et le début d’une stratégie de recentrage pour faire du Front National, devenu Rassemblement National, sous la direction de Marine Le Pen, un parti qui ne soit plus un parti repoussoir, mais un parti peu à peu perçu comme « acceptable » dans le jeu démocratique.

C’est aussi, dans les mêmes années, la lente montée de ce que le Prof Patrick a appelé la « pensée réactionnaire » comme nouveau paradigme dominant qui a rendu le Rassemblement National acceptable :

C’est ainsi qu’aujourd’hui, dans le langage courant de l’ensemble de la France qui ne se revendique pas explicitement de la gauche (70 % des Français, 80 % des médias…), des notions comme « wokisme » « grand remplacement », « préférence nationale » sont utilisées, acceptées sans aucun questionnement, et perçues et apprises comme des normes sociétales courantes par les nouvelles générations.

Au fait, c’est quoi l’extrême-droite ? Ecoutons mon alter-ego le Prof Patrick nous expliquer ça :

4/ La révolution Macron et le retour du besoin d’alternance

Alors, récapitulons :

Nous sommes dans l’après 2017 :

La droite de gouvernement a été compressée, vidée de sa substance, il n’en reste qu’une scorie qui n’est qu’un calque du Rassemblement National

La gauche a été éparpillée : éclatée entre mouvement écolo (EELV), les restes du Parti Socialiste, et la force vive de La France Insoumise. On peut sans l’ombre d’une hésitation parler à son sujet de la « gauche la plus bête du monde », tant elle s’ingénie (avec une grande efficacité) à se diviser encore et toujours, alors qu’elle est (merci François Hollande) en situation de faiblesse historique.

Que reste-t-il donc comme alternance possible au pouvoir Macronien ?

Parce que oui, IL FAUT DE L’ALTERNANCE DANS UN SYSTEME DEMOCRATIQUE !!!

Il reste le Rassemblement National.

Ceci d’autant plus qu’après avoir siphonné la droite de gouvernement, le pouvoir Macronien a ensuite mis en place (à partir du 2e quinquennat) une stratégie de criminalisation de la gauche qui pose de sérieuses questions quant aux valeurs très  peu démocratiques qu’elle révèle : Stratégie de violence exacerbée lors des contestations sociales (dénoncée par des multiples institutions internationales), criminalisation de certains mouvements écologistes pourtant défendus par les plus grandes sommités scientifiques françaises (les Soulèvements de la Terre), accusation d’antisémitisme contre toute personne osant critiquer la violence extrême de l’armée Israélienne à Gaza, etc…

Donc, alternative démocratique inéluctable : le Rassemblement National. Ce n’est qu’une question de temps.

Il faut prendre en compte la dimension de l’égotisme démesuré d’un Emmanuel Macron (et de tous les politiques qui visent le poste le plus égotique qui soit : celui de Président de la République Française) pour comprendre à quel point celui-ci peut s’aveugler sur l’inéluctabilité de l’alternance et se poser dans une posture « moi ou le chaos » qui, avec le temps, ne peut que fatiguer même ses plus ardents supporters

Si l’on ajoute pour terminer que depuis le 2e quinquennat, l’ensemble du discours et des valeurs des gouvernements Macron n’ont cessé de pencher vers celles de l’extrême-droite (La préférence nationale comme axe central de la dernière loi sur l’immigration, la violence organisée contre des adversaires/bouc émissaires désignés à la vindicte populaire), la posture du « moi ou le chaos » cache en fait une préparation des esprits à l’inéluctable arrivée au pouvoir du Rassemblement National, en mode « est-ce vraiment si grave ? Sont-ils si différents de nous ? »

Conclusion

Il est possible que l’histoire retienne d’Emanuel Macron qu’il est l’homme qui a permis l’arrivée au pouvoir de l’extrême-droite en France pour la première fois depuis l’occupation.

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